Brahim Guendouzi, économiste, à Tiwizi Info

«L’Algérie s’engage dans une ère énergétique durable»

Enseignant-chercheur à la retraite à l’université de Tizi Ouzou et membre du laboratoire de recherche sur le management des organisations (Laremo), Brahim Guendouzi est également auteur de plusieurs études socio-économiques dont deux ouvrages sont consacrés aux relations économiques internationales et au commerce international. Brahim Guendouzi collabore aussi avec l’université privée Emto dépendant du groupe Insim.

Tiwizi info : Voulez-vous expliquer à nos lecteurs la genèse de la notion de transition énergétique ?
Brahim Guendouzi : La transition énergétique désigne l’ensemble des transformations du système de production, de distribution et de consommation d’énergie pour diminuer son impact environnemental et le rendre plus écologique. Le concept de transition énergétique est apparu en 1980, en Allemagne et en Autriche, sous la forme d’un livre blanc, suivi à Berlin du premier congrès sur le sujet. Il s’agit d’assurer le passage progressif des énergies carbonées, polluantes (charbon, pétrole) ou à risque (nucléaire), aux énergies propres, renouvelables et sans danger (solaire, éolienne, géothermique, hydraulique). Aussi, la transition énergétique a trois volets principaux. Le premier porte sur le remplacement progressif des énergies fossiles (et le nucléaire) par un mix énergétique privilégiant les énergies renouvelables. Le second touche la réduction de la consommation d’énergie et des gaspillages énergétiques, notamment via l’amélioration de l’efficacité énergétique. Le troisième volet est relatif à la sobriété énergétique, consistant en la réduction des besoins en énergie grâce à des changements structurels qui facilitent les évolutions comportementales en termes de consommation. Cette transition répond également à une série d’enjeux complémentaires tels que la sécurisation des systèmes énergétiques, la réduction des inégalités dans l’accès à l’énergie et surtout la protection de la santé des populations.

La transition énergétique, est-ce un projet réalisable, selon vous, dans les conditions actuelles de l’économie mondiale, basée grandement sur la croissance ?
La planète Terre est soumise à un changement climatique, tel que confirmé par les rapports du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (Giec) constatant la vulnérabilité des écosystèmes et des populations ainsi que la hausse des températures de 2,3° à 3,5° d’ici 2035. Dans un tel contexte de préoccupations croissantes concernant le réchauffement climatique, la transition énergétique devient inéluctable, visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre associées (GES), à la façon de produire et de consommer de l’énergie grâce à diverses formes de décarbonisation et à augmenter la part des énergies renouvelables dans la demande énergétique. La croissance économique est indispensable pour la satisfaction des besoins de base des populations, mais peut être obtenue selon des leviers qui sauvegardent l’environnement. La transition énergétique est essentielle dans les stratégies de développement durable et de lutte contre le réchauffement climatique. Au demeurant, il importe de dissocier la croissance économique de l’augmentation de l’exploitation des ressources naturelles en vue de réduire l’impact environnemental, tout en optimisant les coûts.

Qu’en est-il de la transition énergétique dans notre pays et les objectifs tracés ?
Les questions d’énergie et d’environnement constituent des enjeux majeurs pour l’Algérie, car étant déjà un pays fournisseur de pétrole et de gaz naturel, mais aussi vulnérable aux effets du changement climatique. En effet, l’accroissement considérable de la consommation énergétique, particulièrement en gaz naturel, et les gaspillages d’énergie, imposent une amélioration du mix énergétique et de l’efficacité énergétique, à même d’utiliser rationnellement les ressources rares du pays, de préserver les écosystèmes et la biodiversité, de réduire les émissions d’oxyde de carbone et enfin d’accéder au développement durable.

Quels sont les moyens que l’État mobilise pour la réussite de ce défi ?
L’Algérie s’engage dans une nouvelle ère énergétique durable. L’objectif assigné est de produire 40% des besoins en électricité à partir des énergies renouvelables d’ici 2035, grâce à la réalisation d’une capacité de 15 000 mégawatts. Actuellement, cette part est équivalente à 600 mégawatts selon le Cerife, soit à peine 2%, ce qui montre l’ampleur du défi. S’agissant de l’efficacité énergétique, un programme ambitieux est lancé par l’Aprue et qui touche le secteur du bâtiment, qui représente près de 47% de la consommation finale d’énergie, l’objectif étant d’améliorer la performance énergétique de tout le parc immobilier national. Le second secteur est celui de la motricité, avec plus de 28% de la consommation finale d’énergie. Il est question de réduire les émissions de CO2 et d’améliorer la qualité de l’air dans les zones urbaines, en favorisant la conversion des véhicules au GPL ainsi que l’adoption des technologies innovantes. Le troisième secteur concerné est l’industrie, grâce à l’acquisition et à la mise en œuvre de process industriels et d’équipements à haute performance énergétique, pour arriver, à l’horizon 2040, à une industrie bas carbone. Enfin, la généralisation des luminaires LED ou des systèmes solaires photovoltaïques dans l’éclairage public des collectivités locales.

Estimez-vous ce défi réalisable ?
La transition énergétique n’est pas du seul ressort de l’État, mais cela intéresse également les collectivités territoriales, les entreprises et les citoyens. Il s’agit essentiellement de développer des synergies de mutualisation et de substitution des ressources, en plus du développement d’activités innovantes, et ce dans une démarche collective et volontaire. Au-delà des efforts financiers et des investissements à consentir dans le développement de nouvelles sources d’énergie renouvelable, la dimension technologique s’avèrera déterminante pour réussir la transition des énergies fossiles à des énergies décarbonées, tout en conciliant le développement durable avec une gestion rationnelle des ressources naturelles.

Quel sera le rôle du gaz naturel dans la transition énergétique ?
Incontestablement, le gaz naturel sera la première source d’énergie dans la transition énergétique, et ce de par ses propriétés de combustion propre, sa contribution à l’amélioration de la qualité de l’air et à la réduction des émissions de CO2 ainsi qu’à la sécurité alimentaire mondiale en liaison avec la production des fertilisants. Ceci est d’autant plus vrai que même si les sources d’énergie renouvelables sont en plein essor, notamment dans le secteur de l’électricité, elles ne sont pas encore suffisamment matures pour répondre à la demande énergétique croissante au niveau mondial, tel que cela ressort dans un rapport du Gecf. Aussi, l’Algérie, qui reste un pays gazier, compte consolider son mix énergétique à partir du gaz naturel.

Interview réalisée par Kamel Boudjadi et parue in L’Expression, le 29 septembre 2024

Par La rédaction de Tiwizi info

Yacine Adaoun, psychologue clinicien, à Tiwiziinfo «Les enfants sont les premières victimes du confinement»

Le confinement est la seule bonne solution pour éviter la propagation et la conta-mination au coronavirus. C’est scientifiquement prouvé. Mais, il est également scientifiquement prouvé que cet état d’isolement a des conséquences sur l’état psychologique des individus en général et les enfants en particulier. Dès à présent, beaucoup de parents, en plus de leur état propre, pensent déjà à ces répercussions sur le mental de leurs enfants. Nombreux sont ceux qui se posent des questions sur les meilleurs moyens d’éviter ce stress et surtout les démarches à suivre après le «déconfinement». Les questions sont nombreuses sur les meilleures voies ainsi que les meilleurs moyens de soigner les diverses séquelles du confinement sur les enfants. Pour le moment, les réponses ne sont pas encore abondantes, mais il faut y penser dès à présent. Les parents auront des efforts à dispenser pour faire retrouver à leurs enfants, un comportement normal ou simplement les réadapter à la vie de tous les jours. Dans cette optique, justement, L’Expression apporte sa contribution à ce travail médico-pédagogique qui attend les familles algériennes après la fin des mesures de confinement. Pour répondre à ces interrogations, nous avons sollicité un spécialiste en la matière. Yacine Adaoun, psychologue clinicien qui a apporté des réponses concrètes et simples qui pourraient aider les parents durant et après le déconfinement.
 
L’Expression: L’on s’accorde à dire que le confinement aura des conséquences psychologiques sur les gens, surtout sur les enfants. Quel est votre avis en tant que psychologue?
Yacine Adaoun: Certes, le confinement établi contre la pandémie de coronavirus a des effets négatifs sur l’état psychologique des individus en général, sur les enfants en particulier, étant donné que l’isolement et le confinement sont une situation
désagréable. C’est indéniable et de nombreuses études l’ont prouvé scientifiquement: l’isolement et la mise en quarantaine ont des effets néfastes sur notre psychisme. Des contacts sociaux limités, voire absents lorsque l’enfant se retrouve seul chez soi, entraînent des conséquences somatiques et psychologiques bien réelles: repli sur soi, humeur dépressive, anxiété…Par ailleurs, l’interdit et la privation de liberté pour les enfants les confronte directement à leurs sentiments d’impuissance, à leurs peurs et à leurs besoins.
«L’être humain est génétiquement sociable», donc obliger les enfants à rester à la maison pendant des semaines n’est pas naturel pour eux. Chaque enfant a des besoins fondamentaux de se sentir libre, de sortir pour aller à l’école, au parc, jouer avec des amis, faire de nouvelles connaissances…Etc.
Pouvez-vous mesurer la gravité de ces conséquences sur les enfants?
L’ampleur de l’impact de la quarantaine varie d’un enfant à un autre, et cela est dû à de nombreux facteurs biopsychosociaux, les différences individuelles, mais la gravité des effets peut être:
– sévère, elle peut être caractérisée par des signes et symptômes qui causent à l’enfant lui-même des souffrances telles que perçues par la famille,
– modérée, certains signes et symptômes sont moins graves en termes de récurrence.
– légère, certains symptômes sont possibles tout en s’adaptant à un changement dans la routine quotidienne.
Pouvez-vous nous citer justement ces conséquences?
Les conséquences de la quarantaine chez un enfant peuvent apparaître à quatre niveaux, à savoir sur le plan comportemental, cognitif, émotionnel, psychosomatique qui se traduisent par:
– des troubles du sommeil, des réveils et des cauchemars,- des troubles de l’appétit, manque d’appétit ou besoin de ne plus manger,
– des colères plus fréquentes, les disputes, des oppositions, une instabilité de l’humeur,- un retrait dans ses pensées ou dans la même activité jour après jour,- un refus du travail scolaire ou des contraintes y compris des mesures barrières,- de la tristesse, les pleurs injustifiés, la demande excessive de câlins, de contacts,- anxiété, stress, agitation, addictions, déprime…etc.
Est-il possible, selon vous, de les éviter ou d’en atténuer l’impact?
Bien sûr, ces effets peuvent être évités en faisant de nombreuses activités qui réduisent le stress psychologique, en apprenant aux enfants à se détendre, à méditer, la pratique du dessin libre, la pratique du yoga, l’adoption d’une alimentation équilibrée, le maintien du sommeil la nuit et l’établissement de la sécurité dans la famille.
Se détendre et relaxer avec son enfant. Écouter de la musique douce ensemble et invitez votre enfant à visualiser des situations relaxantes, comme s’imaginer flotter sur un nuage. De cette manière, il apprend qu’il est facile de se retrouver dans un endroit magique sans quitter sa maison. Vous pouvez aussi vous étendre côte à côte dans l’herbe et observer le ciel en décrivant la forme des nuages.
Faites un massage à votre enfant. Ce contact tendre renforce l’attachement et facilite la relaxation. Par exemple, vous pouvez masser doucement la nuque, le front, les tempes ou les pieds de votre tout-petit.
Prévoyez des activités physiques tous les jours, comme de la marche, des jeux simples qui font bouger (ex.: le jeu «Jean dit») ou une séance de danse. Bouger vous permet, à vous et à votre enfant, de libérer les tensions accumulées tout au long de la journée. Bouger de 5 à 10 minutes avec votre enfant lors du retour à la maison peut être très bénéfique pour évacuer le stress de la journée. Être actif physiquement renforce aussi les habiletés motrices de votre enfant et l’aide à être en bonne santé et à bien dormir.
Quelques activités à faire avec les enfants: peindre, dessiner et colorier, lire, écouter de la musique, écrire une lettre, jouer à un jeu de construction, commencer un journal intime, faire un journal d’activités, se déguiser, fabriquer son jeu de société…Etc.
Il est également possible de contacter des professionnels de la santé mentale (psychologues, psychiatres) pour se renseigner et faire des séances psychologiques par téléphone (téléconsultations) sachant qu’une intervention psychologique précoce porte ses fruits.

Par La rédaction de Tiwizi info

60 milliards de m3 d'eau sous le Djurdjura selon le Pr Abdelkader Saadallah

Abdelkader Saâdallah, docteur en géosciences, est président de Gass (GeoAfricaSciences Society. Il est la référence mondiale dans sa spécialité. Depuis plusieurs années, ce chercheur émérite n’a pas cessé de lancer des appels pour l’exploration d’autres alternatives dans la recherche de l’eau potable. Son œuvre est d’une richesse inestimable. La Kabylie est l’une des régions privilégiées de ses recherches qui ont d’ailleurs fini par confirmer l’existence d’un gigantesque réservoir d’eau. Lui, il l’estime à, au moins, 60 milliards de mètres cubes. Beaucoup de questions entourent ce trésor caché du Djurdjura. Une grande partie des populations ne sait pas si 60 milliards de m3 sont une quantité énorme ou grande ou petite. Une autre partie doute de l’existence de ce grand réservoir. D’autres voix se disent inquiètes de l’impact géologique et climatique que peut générer l’exploitation de ce gisement souterrain. Pour éclairer les lecteurs de L’Expression sur ce sujet qui s’impose de plus en plus et à mesure que l’eau se fait rare avec le réchauffement climatique, Abdelkader Saâdallah a aimablement accepté de répondre à nos interrogations et nous servir de guide pour l’exploration de ce fabuleux trésor de la Kabylie qui s’étend des cimes de Chellata, du côté de Béjaïa, descendant jusqu’aux gorges de Lakhdaria du côté de Bouira. Suivons ses pas jusqu’aux cimes du Djurdjura.
L’Expression: Le sujet intéresse au plus haut degré, les spécialistes, les pouvoirs publics, mais surtout les populations. Pouvez-vous, Monsieur Saâdallah, situer et présenter ce gisement de 60 milliards de m3 dans un langage moins académique et moins spécialisé pour le rendre accessible surtout aux populations?
Abdelkader Saâdallah: Un grand merci au journal L’Expression pour me donner l’opportunité de présenter ce gigantesque réservoir d’eau du Djurdjura. Ce gisement est en premier lieu un réservoir, avec une forme, une géométrie à voir dans l’espace. Un volume rocheux qui apparaît à la surface du sol, formant les hauteurs de la montagne du Djurdjura, et qui se continue en profondeur dans cette même montagne. Ce sont les études spécialisées en géosciences, les études structurales, que j’ai menées durant les années 1980 et au début des années 1990 qui m’ont permis d’en déduire cette structure. C’est d’abord la structure en éventail, dite en anglais flower structure, une structure affleurante exceptionnelle et rare dans le monde, que j’ai publiée dans une revue internationale spécialisée en géosciences en 1996 (Geodinamica Acta) que l’on peut télécharger de mon website (http://saadgeo.com/wp-content/uploads/2015/12/SaadallahEtAl1996DorsaleKab.pdf). Il faut la concevoir comme une structure allongée Est-Ouest (Fig. 1) avec une section en éventail (Fig. 2), en triangle avec la pointe vers le bas. L’axe de cette structure plonge fortement vers l’Ouest au point de la faire disparaître profondément dans le massif à partir de Haizer. Elle n’apparaît au sol qu’à partir de Haizer vers l’Est, formant tous les pics et reliefs accidentés comme Lalla Khedidja et se terminant au col de Chellata. La carte simplifiée, Fig. 1, vous aidera très certainement à comprendre cette géométrie de ce réservoir d’eau. Cette structure ne suffit pas pour en faire un réservoir de ce volume rocheux qui forme le relief et le corps du Djurdjura. D’autres conditions doivent exister: pourquoi dire réservoir? Son étanchéité, sur tous les côtés, est-elle assurée et par quoi? Est-ce qu’il est alimenté par les précipitations (pluies et neiges) qui donc le rechargerait annuellement, en partie au moins?
Pourquoi dire que c’est un réservoir?
Les roches qui forment cette structure sont en grande partie des calcaires, roches connues dans le monde comme les meilleurs réservoirs souterrains des fluides (eau, pétrole et gaz) à cause de leur fracturation, de la présence de cavernes dues à la circulation des eaux de pluie qui dissolvent les carbonates pour créer des vides dits karsts, et même des gouffres de plus de 1 km de profondeur que les spéléologues connaissent bien. Donc il y a des vides dans de telles roches, et ces vides contiennent, ou sont susceptibles de contenir, l’eau. De façon générale on estime que de telles roches ont une porosité de 33%, soit le 1/3 du volume de la roche est vide! Dans mes calculs pour estimer rapidement les réserves en eau je n’ai pris en compte qu’une porosité de 5% §!
Son étanchéité, sur tous les côtés?
Cette structure en éventail est limitée au sud par des formations rocheuses dites des turbidites, connues en Algérie depuis plus d’un siècle comme les flyschs. Elles sont riches en argiles avec une structure telle qu’elles fluent de tous les côtés colmatent tout et donc empêchent l’eau de s’échapper vers l’extérieur du réservoir. Quant au flanc nord de cette structure, ce sont les schistes satinés. Ces roches au cours de leur histoire géologique ont transité à des profondeurs, et sous l’effet de hautes pressions et fortes températures, sont constituées de minéraux minuscules comme des brins de paille au point de leur donner ce reflet de satin, d’où leur nom de schistes satinés. Ils forment, de ce fait, une barrière étanche; d’autant plus que sous les déformations importantes qu’elles ont subies, leur imperméabilité a augmenté.
En profondeur
L’étanchéité en profondeur de cette structure en éventail, qui se termine donc en pointe, ce sont les deux formations rocheuses, celle du sud c’est-à-dire les flyschs et celle du nord c’est-à-dire les schistes satinés qui de toute évidence se rencontrent et qui donc constituent ensemble l’étanchéité du tréfond du réservoir d’eau du Djurdjura. Ainsi, l’étanchéité est assurée de tous les côtés de la structure en éventail de ce réservoir du Djurdjura; du moins dans la zone où il affleure, c’est-à-dire où il est visible au sol, dans cette partie du Djurdjura allant de Haizer au col de Chellata.
Et en profondeur dans la zone où le réservoir s’enfonce?
Dans la partie allant de Haizer aux gorges de Lakhdaria (ex-Palestro) où le réservoir plonge en profondeur vers l’Ouest, l’étanchéité vers le haut de la structure en éventail existe-t-elle? Et dans le cas positif, quelle est la formation qui assure cette étanchéité du réservoir? L’histoire géologique du Djurdjura a fabriqué cette couverture étanche! Cette structure en éventail des formations calcaires a été construite il y a près de 40 millions d’années, et comme toute édification de relief il y a simultanément destruction des hauts reliefs produisant ainsi les dépôts qui font constituer de nouveaux sédiments caractéristiques que l’on dénomme les molasses. Ces dernières ont la particularité d’être riches en argiles ou en marnes. C’est le cas de la molasse des formations calcaires du Djurdjura, qui porte le nom spécifique de «L’Eocène molassique de la chaîne calcaire» chez les géoscientifiques. Sa forte constitution en argile ou en marne en fait une couverture étanche de ce réservoir immense d’eau dans sa profondeur. D’autant plus que je peux confirmer que cette structure à dominante carbonatée se continue en profondeur dans la montagne en alignement avec les hauteurs du Djurdjura et cela jusqu’à pratiquement les gorges de l’oued Isser à Lakhdaria. A cet endroit un événement tectonique par une faille a fait réapparaitre cet ensemble calcaire à partir des gorges de Lakhdaria et dans le massif de Bouzegza. Et une fois de plus on confirme l’étanchéité dans cette zone vu que l’oued Isser est parfois à sec en été, preuve qu’il ne reçoit pas d’eau du réservoir du Djurdjura. Ainsi, avec certitude je peux dire, écrire et souligner que l’étanchéité de ce réservoir immense du Djurdjura est assurée sur tous les côtés, en profondeur, et là où il affleure!
Est-ce qu’il est alimenté par les précipitations (pluies et neiges)?
Bien sûr que son alimentation est assurée par les pluies et surtout par les neiges qui assurent une infiltration lente et certaine, beaucoup plus que la pluie dont le ruissellement des eaux est des plus dominants. Le programme de recherche que nous proposons, nous c’est-à-dire GASS (http://geoafricasciences.org/), les universités de Tizi Ouzou (dpt. des sciences de la terre) et de Constantine (faculté des sciences de la Terre), et Pqwt (Institut de Recherche, exploration des eaux souterraines, Changsha, Hunan Chine) (http://www.pqwtcs.com/), le bilan de l’eau sera évalué de façon plus précise afin de cerner de près la quantité d’eau qui recharge annuellement le réservoir d’eau. Toute la région où le réservoir affleure, c’est-à-dire les hauteurs du Djurdjura.
60 milliards de m3, est-ce que c’est beaucoup d’eau, est-ce que c’est énorme? Situez-nous dans ce contexte.
Cette estimation, basée sur des calculs rapides, est certainement en deçà des réserves, c’est au programme de recherche que nous voulons faire démarrer le plus tôt possible, d’annoncer une estimation basée sur d’autres données que nous espérons recueillir au bout de 1 à 2 ans de recherche. 60 milliards de m3 c’est énorme quand on sait que le barrage de Taksebt (Tizi Ouzou) n’a jamais atteint sa capacité maximale de 180 millions de m3, et que le plus grand barrage d’Algérie a une capacité de moins de 1 milliard, et que le plus grand barrage au monde, celui des Trois-Gorges en Chine a une capacité maximale de 40 milliards de m3 et que la demande de toute la population algérienne, à 150 l d’eau potable par jour, est de 2 milliards par an.
Il faut voir ce chiffre en tenant compte des besoins grandissants en eau pour tous les besoins y compris ceux de l’agriculture et de l’industrie, besoins en constante évolution.
Pouvez-vous donner plus de précisions si le gisement peut être exploitable dans le court terme, le moyen ou le long terme?
L’exploitation de ce gisement, renouvelable en partie, est nécessaire à court terme car les besoins se font sentir en Algérie et dans les régions avoisinantes du Djurdjura de nos jours, maintenant! Cependant la gestion de cette eau doit être étudiée de façon très rigoureuse en incluant divers paramètres pour mettre en place un réseau d’alimentation interconnecté et souple incluant les sources actuelles. En tenant compte du fait que certaines sources risquent de se tarir, momentanément, surtout à la fin de l’été, avant les premières pluies d’automne. Il est aussi évident, à mon sens, d’y aller de façon graduelle en partant des forages peu productifs, mais riches en information pour caractériser plus précisément le réservoir. Dans notre programme de recherche nous retenons pour le moment qu’au terme de la première étape de recherche structurale et de détermination de la profondeur de la surface d’eau, nous proposerons un programme d’une demi-douzaine de forages peu profonds de reconnaissance.
Nous excluons de prime abord d’aller en premier lieu vers un forage de grande production qui pourrait être jaillissant et de forte pression, et donc probablement avec des risques de catastrophes.
Le sujet divise; alors qu’une partie voit ce projet avec optimisme, une autre exprime ses inquiétudes. Pouvez-vous donner quelques éléments pour rassurer?
Tout ce qui est nouveau dérange! Il vient perturber la routine sur laquelle s’installent confortablement ceux qui ne veulent rien changer. C’est le plus grand obstacle! Il faut essayer, à chaque fois que c’est possible, de réfléchir d’une autre manière. Nous sommes devant un tel cas. Depuis des siècles, en Algérie et dans le monde, on prospecte l’eau dans les bassins qui se traduisent géo-morphologiquement par des plaines, qui sont aussi le lieu de concentration des populations. Or une telle méthode, dite conventionnelle de recherche devient très coûteuse, dans le cas particulier de régions montagneuses comme celles de Kabylie, où depuis des siècles, pour des raisons historiques, la population se concentre au sommet des montagnes. Car il faut pomper l’eau sur des kilomètres et gravir des dénivelés de plusieurs centaines de mètres pour faire monter l’eau potable de la plaine du Sébaou vers des agglomérations comme celles de Ain El Hammam. Alors que la méthode non conventionnelle, beaucoup plus avantageuse, qui consiste à prospecter les eaux souterraines dans les montagnes, chercher les RESERVOIRS PERCHES, c’est-à-dire localisés dans les sommets, et donc alimenter en eau les populations en aval, uniquement par gravité, sans pompage! Cette méthode doit prévaloir! Pour être plus précis, en ne citant qu’un seul exemple, par un choix judicieux on peut alimenter toute une série de villages, devenus des villes, et des villes comme celle de Aïn El Hammam et tout le long de la ligne de crête jusqu’à Larbaâ Nath Irathen et encore plus à Tizi Ouzou, et tout cela par écoulement gravitaire le long de la pente sans aucune station de pompage!
Certains, ceux qui s’opposent, affirment que les données que vous avancez ne sont que des thèses de scientifiques. Avez-vous des preuves à opposer à ceux qui vous apportent l’antithèse?
De telles personnes oublient de se poser la question de base devant toute source d’eau: d’où provient cette eau? Or il ne s’agit pas d’une seule source, mais de centaines, voire plus dont il est question de les étudier, et toutes cernent, voire percent le Djurdjura, et pour les géoscientifiques, une seule déduction vient à l’esprit: Il y a un réservoir derrière!
Ce n’est plus une thèse de travail, c’est une réalité de terrain qu’il faut caractériser précisément de façon géoscientifique, par de nouvelles observations, mesures, déductions, pour aller vers l’exploitation rationnelle et scientifique.
Selon vous, quel impact aura l’exploitation de ce gisement du point de vue géologique, mais surtout économique?
L’impact le plus important et le plus significatif est le fait de dire qu’il faut regarder les montagnes avec un nouvel oeil! La méthodologie de recherche géoscientifique que nous développerons dans le Djurdjura sera utilisée pour aller vers d’autres régions montagneuses comme les Aurès, Zaccar, Ouarsenis et d’autres encore. Des géoscientistes dans notre équipe en formation se posent déjà la question, à juste titre. L’importance est évidente, pour tout Algérien, en Algérie ou ailleurs! L’eau c’est la vie et les besoins sont énormes que ce soit pour l’alimentation en eau potable (AEP) ou pour les besoins économiques, agricoles et industriels. Le progrès de façon générale fait que ces besoins sont en croissance continue, les Algériennes et Algériens sont loin des temps où ils se contentaient d’aller au hammam une fois par semaine, c’est la douche matinale quotidienne qui devient le mode standard. Son impact est un facteur de progrès dans son utilisation, comme AEP ou pour booster l’économie locale durable.
Vous disiez lors d’un forum sur Radio Tizi Ouzou qu’à l’avenir il faudra chercher l’eau perchée sur les hauteurs. Inhabituelle comme suggestion. Pouvez-vous développer cette nouvelle approche de la relation de l’humain avec les sources d’eau?
Oui, aller vers la découverte de réservoirs perchés, situés dans les hauteurs. Une telle méthode nécessite un investissement cérébral, des études géologiques de terrain et notamment structurales en commençant par répondre à une question relativement simple: est-ce que les conditions géologiques sont réunies pour l’existence d’un réservoir perché?
Les géoscientifiques sont présents partout dans le pays pour contribuer rapidement à répondre à cette première question, pour ensuite passer aux étapes suivantes. C’est inhabituel, non-conventionnel, car elle sort des chemins battus pendant des siècles, mais pour nous Algériens, elle est trop coûteuse, et de toute façon les réserves dans les bassins surtout côtiers, leur envahissement par des eaux salées de mer est déjà une menace réelle, suite à la surexploitation de ces nappes. Avons-nous d’autres choix? Importer l’eau?
Entretien réalisé par Kamel BOUDJADI pour l’Expression

Par La rédaction de Tiwizi info